Interview : Dr Hery Ramiarison, enseignant -chercheur, économiste et membre de CREM « De l’économie de subsistance à l’économie de marché grâce à l’accès à l’énergie électrique

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De l’économie de subsistance à l’économie du marché : l’accès à l’électricité en est un des piliers.Cela fait plus de quinze ans que Madagascar a traversé une énorme crise énergétique persistante, impactant à la fois son économie mais aussi son bien- être social dans leur dimension multiple. Plusieurs rapports ont démontré que la pauvreté nationale stagne. En 2022, la Banque mondiale a publié un rapport sur l’évaluation de la pauvreté à Madagascar dans les deux décennies successives, 75,2 % de la population nationale était pauvre : 79,9 % dans les zones rurales et 55,5 % dans les zones urbaines.De la mauvaise gouvernance à la faible production en passant par le manque d’infrastructures économiques, la situation de Madagascar est devenue malheureusement une référence en termes de pauvreté malgré qu’il n’ait jamais connu ni catastrophe naturelle critique ni guerre au même titre que certains pays qui se trouvent dans le même classement. My Hydro a rencontré Dr Hery Ramiarison, enseignant -chercheur à l’université d’Antananarivo, économiste et membre de CREM pour avoir son avis comment changer ce paradigme, qui est possible avec tous les potentiels, ressources disponibles dans un monde où l’incertitude et la volatilité sont devenues nouvelles règles.

My Hydro : Comment voyez-vous la situation économique à Madagascar par rapport à nos engagements liés aux ODD 2030 ?

Dr Hery R. Hélas Madagascar est un pays pauvre, et est parmi les plus pauvres de la planète avec un taux de pauvreté de 79,7% en 2024. Selon le dernier rapport de la Banque Mondiale sur la pauvreté, la prospérité et la planète 2024, notre pays est en tête des pays ayant les taux d’extrême pauvreté en Afrique. Cette situation de pauvreté persistante sur plusieurs années indique une très faible création de richesse. En effet, la détérioration du niveau de vie s’est accélérée au cours des 16 dernières années (de 2008 à 2023), reflétant une croissance économique chroniquement faible, qui a été en moyenne de 2,2 % par an sur la période 2009-2023. Sachant que le taux de croissance démographique est en moyenne de 3% par an, le revenu par habitant affiche un taux de croissance réel moyen négatif de -0,66% par an, un net recul. Cette tendance persiste en 2024, et le pays se distingue par sa grande vulnérabilité aux chocs exogènes. Une faible croissance signifie une faible création de richesse (et donc pas de redistribution), très peu d’emplois productifs (les emplois salariés ne représentant que 11% des emplois totaux), marginalisant encore davantage une partie importante de la population active, dont 85% occupent actuellement des emplois précaires (ou vulnérables), c’est-à-dire très mal payés et sans aucune protection sociale. Cette forte prévalence d’emplois précaires condamne les travailleurs et leurs familles à la pauvreté et à la vulnérabilité. A cela s’ajoute le niveau de productivité (mesurée par la valeur ajoutée par travailleur) qui est déjà très faible et tend à diminuer depuis 2009. Cette baisse de productivité est la plus importante dans le secteur manufacturier, -39,67% entre 2009 et 2022. En cette année, il se situait à 1.682$, soit cinq fois moins que le niveau moyen de la région Afrique Sub-Saharienne (ASS).
Dans l’agriculture, la situation est encore pire avec 295$ de valeur ajoutée produite par travailleur en 2022 (contre 1,510$ en ASS), soit une baisse de 27% par rapport à 2009, indiquant une agriculture de subsistance. Cette situation de faible productivité est étroitement liée au faible niveau d’employabilité de la population, notamment des jeunes. La faible employabilité se caractérise par un très faible niveau d’éducation des actifs, une déficience manifeste du système éducatif en quantité et en qualité, un abandon scolaire très répandu, et la quasi-absence manifeste des offres de formation adaptées au secteur primaire, le plus grand pourvoyeur d’emplois. Il est désagréablement surprenant de constater qu’après 64 années d’indépendance, les ¾ de la population ont un niveau d’éducation inférieur au primaire tandis que 3,1% seulement ont un niveau d’éducation supérieure. La situation de faible croissance signifie aussi que Madagascar a du mal à relancer les investissements, qui sont passés de 37,15% du PIB en 2009 à 19,5% du PIB en 2022. L’investissement privé a connu une baisse significative, passant de 33,2% du PIB en 2009 à 13,3% du PIB en 2022, en raison de la faible épargne intérieure, du manque d’accès au financement approprié et abordable, ainsi que d’autres contraintes structurelles. Le niveau d’investissement faible se manifeste également par le crédit au secteur privé qui s’établit à environ 17% du PIB pour 2020, 2021 et 2022. Les flux nets d’investissements directs étrangers (IDE) suivent également une tendance à la baisse, passant de 612 millions de dollars en 2018 à 468 millions de dollars en 2022, soit une baisse de 42 %. Les investisseurs et les banques se montrent plus prudents dans un environnement des affaires hostile. Une telle faible création de richesse amoindrit notre chance d’atteindre nos ODD en 2030.

My Hydro : Quelles seraient les facteurs bloquants ne nous permettant pas d’être attractif et compétitif ? est-ce que notre statut d’être insulaire nous pénalise-t-il ?

Dr Hery R : A mon avis cela n’a rien avoir avec notre statut d’être insulaire. D’ailleurs, nombreux sont les pays insulaires qui une situation bien meilleure. C’est l’environnement des affaires plus hostile aux investissements productifs qui en est la cause principale. Et cela relève de la qualité des politiques publiques. Nos politiques publiques ont toujours ciblé prioritairement les symptômes, plutôt que les causes sous-jacentes du sous-développement, en l’occurrence les contraintes aux investissements productifs. Parmi ces contraintes, l’une des plus importantes est la déficience des infrastructures économiques telles que les routes, les ports, l’énergie, l’irrigation agricole, etc…Ce mauvais choix découle de notre vision habituelle du développement qui se fixe comme objectif ultime « la réduction de la pauvreté » c’est-à-dire la survie, au lieu d’une « Prospérité économique ». Dans ce cas de figure, on peut arriver à des résultats positifs à court terme, mais ceux-ci risquent de disparaître quelque temps après, car le goulot d’étranglement des investissements reste intact. Et on demeure au stade d’économie de subsistance.

My Hydro : Ayant fait vos études au Japon, vous qui avez beaucoup d’expériences sur les pays émergents de l’Asie de l’Est, des pays ayant eu le même niveau que Madagascar dans les années 1970, qu’est-ce que nous pouvons apprendre de leurs expériences ?

DrHery.R : Ces pays asiatiques ont une vision différente de la nôtre. Ils ciblaient en priorité la prospérité économique. Bon nombre d’entre eux ont été moins performants que nous sur le plan économique il y a une trentaine d’années, et dont la plupart manquaient cruellement des ressources naturelles, mais ils réussissent à se hisser maintenant au rang des pays à revenu intermédiaire actuellement. C’est l’exemple du Vietnam dont le revenu moyen par habitant passait de 100 $ à la fin des années 1990 à 4 164 $ en 2022 ; et dont le taux de pauvreté a connu une baisse considérable passant de 58,1 % en 1993 à 4,2 % en 2022. Ce pays n’est plus au stade de la croissance tirée par l’accumulation des facteurs (factor-driven growth), et est en train de réussir sa transition vers une nouvelle étape où la croissance est tirée par l’efficience (efficiency-driven growth). Dans leur vision de développement, ces pays émergents de l’Asie ne se contentaient pas d’une simple réduction de la pauvreté, mais allaient plus loin en cherchant à atteindre la prospérité économique et la fierté nationale qui permet une véritable économie de marché. Une telle vision du développement invite à donner la priorité aux facteurs sous-jacents du développement (investissements productifs, infrastructures économiques, compétences, technologies, commerce, etc) ; et dont les acteurs clés sont l’Etat fort et le secteur privé dynamique, et non pas les pauvres ou les ONGs.

My Hydro : Parlons des infrastructures économiques.

DrHery.R : La construction des infrastructures économiques fiables aide beaucoup à atténuer les goulots d’étranglement du côté de l’offre, c’est-à- dire des investissements productifs. Par exemple, disposer d’une source d’énergie stable et efficiente est requis pour une croissance économique soutenue sur une longue période. En effet, la pénurie d’énergie constitue un obstacle majeur à la croissance de l’investissement privé en raison de l’augmentation des coûts de transaction. Au début de leur développement, ces pays asiatiques ont ressenti le besoin de développer une énergie efficiente, et ce besoin s’est renforcé après le premier choc pétrolier. Ainsi, l’engagement relativement important de ces pays dans le développement énergétique, notamment dans les projets de centrales électriques, a été une réponse réfléchie au choc pétrolier et a été d’une grande aide pour atténuer le goulot d’étranglement du côté de l’offre, stimulant ainsi l’investissement privé. Une part importante des APD reçues par ces pays allaient dans le secteur de l’énergie. Par exemple plus de 20 % de l’APD japonaise à destination de ces pays ont été utilisées dans ce secteur dans les années 1970, et cela représente près de 73 % de l’APD totale allouée aux infrastructures économiques pour la même période. Le soutien au secteur de l’énergie s’est poursuivi tout au long des années 1980 et 1990. En outre, plusieurs études économiques ont démontré le lien positif entre la croissance économique et le stock d’infrastructures économiques, en particulier les routes, les communications et les centrales électriques, suggérant que des investissements importants dans des projets d’infrastructure auraient contribué de manière significative à la forte croissance économique soutenue que connaissaient ces pays asiatiques depuis le milieu des années 1970. Il faut signaler que le taux de rendement interne (TRI) des APD japonaises dans soixante-sept projets entre 1965 et 1982 était assez élevé, à 17,6 %.

My Hydro : En Afrique et dans le monde la population malagasy fait partie des populations ayant un faible taux d’accès à l’électricité, une situation doublement pénalisée les différents secteurs (production et compétitivité par rapport aux différents marchés existants au niveau régional et international), quelles solutions proposez-vous pour améliorer cela ?

DrHery.R : La déficience du secteur énergétique malgache, notamment l’électricité, n’est plus à démontrer. La population et les entreprises la vivent très difficilement au quotidien. Les conséquences socio-économiques sont désastreuses. Les expériences des pays asiatiques démontrent bien l’importance de l’accès à une source d’énergie stable et efficiente à leur émergence économique. Madagascar regorge d’immense potentiel en énergie renouvelable. L’exploitation de ce potentiel en est la solution adéquate à nos problèmes. Une orientation de nos politiques publiques favorisant les investissements dans ce secteur sera requise si on veut un Madagascar émergent.